Nous aurions payé très cher pour observer attentivement la mine ébahie de certains membres de la NRA [1] tandis que l'un de ses honorables représentants, M. Toyoshi Fuketa [2], a exposé devant la commission réunie en assemblée plénière le 31 juillet l’embarrassant aveu de l'opérateur Japonais JAEA [3] chargé - entre autres - de gérer l'ex-site de retraitement de combustible de Tokaï-Mura.
Des questions ou des remarques de dernière minute ? Non... euh oui, M. Fuketa ?
L'affaire a été rapidement remarquée et analysée par le veilleur du site ex-skf qui est le premier - et le seul pour l'instant - à avoir relevé l'importance de cet événement en lui consacrant aujourd'hui un long et intéressant billet. Attendu que l'ensemble des travaux de la commission de sécurité nucléaire Japonaise est retransmis en direct sur les écrans de télévision Japonais [4], il était impossible pour certains membres de la commission, disons, plus réactionnaires, de peser de tout leur poids pour éviter que ce genre de débat sur les déchets hautement radioactifs ne s’éloigne trop de salons gouvernementaux feutrés pour se diffuser - par la magie de l'information directe - dans des lieux beaucoup moins verrouillés.
Donc, alors que s'approchait la fin d'une longue séance de la commission et que le chairman Tanaka demandait - de manière routinière - si certains membres avaient des questions ou des remarques de dernière minute à formuler, M. Fuketa prit la parole (1h45m53s sur la vidéo) pour communiquer à la commission un document soumis "spontanément"à son attention par la JAEA. Dans ce dossier figuraient les inquiétudes et les interrogations de l’opérateur semi-public au sujet de la gestion technique de l'ex-site de retraitement de Tokaï-Mura, situé dans la préfecture d'Ibaraki, une centaine de kilomètres au Sud des installations dévastées de Fukushima-Daiichi.
Tokaï-Mura, l'ancien et peu performant site de retraitement de combustible irradié Japonais
Le site de Tokaï, situé approximativement entre Tokyo et Fukushima, était notamment chargé de retraiter initialement une partie du combustible irradié dans les réacteurs nucléaires Japonais ; cette unité n'a en fait retraité qu'une quantité modique de combustible ; la production du site de Tokaï a été largement obérée par des problèmes continuels dont le point culminant fût l'accident de criticité du 30 septembre 1999, une aventure qui entraîna le confinement de 320.000 habitants [5], l'exposition à la radioactivité de plusieurs centaines de personnes et l'irradiation sévère de 37 employés du site dont 2 d'entre eux décéderont rapidement.
L'unité de retraitement de combustible était en fait relativement expérimentale et se voulait une plateforme technique d’expérimentation sur un processus qui consiste à extraire une partie des éléments fissiles stockés dans le combustible nucléaire irradié [6] dans l'optique de les réincorporer partiellement dans du combustible "frais". L'unité a été inaugurée en 1977, elle aurait retraité environ 50 tonnes de combustible irradié par an, ce qui correspond à la moitié seulement de la production initialement prévue. L'usine ayant été définitivement fermée en 2007, les énormes quantité de déchets ultimes y sont restées stockées dans des conditions très peu documentées jusqu'à présent. Tokaï a donc été un triple échec : financier [7], technique et environnemental.
Des effluents très radioactifs sont toujours stockés sur le site et la JAEA ne sait apparemment pas comment les "traiter"
Dans le communiqué lu par M. Fuketa, la JAEA s'inquiéte notamment du sort des quelques 400 m3 de déchets hautement radioactifs stockés sous la forme d'effluents liquides et tout particulièrement sur la présence d'environ 700 kilogrammes de nitrate de Plutonium, un des composés intermédiaires du processus de retraitement [8]. La JAEA reconnaissait qu'elle manquait d'informations notamment sur l'aspect sécuritaire et réglementaire du procédé permettant de vitrifier les effluents terminaux et de solidifier la solution de nitrate de Plutonium (une manœuvre inédite ?) afin de faciliter son stockage dans des conditions optimales de sécurité [9].
Une assistance momentanément déconfite devant ce questionnement inédit
Notre ami blogueur ex-skf s'amuse a noter la mine "déconfite" des participants alors qu'un certain silence semble peser après le long exposé de M. Fuketa ; il semble évident que ni M. Tanaka ni les autres membres n'avaient été préalablement informés de cette communication ! L'aspect le plus important de cet exposé insistait apparemment sur l'aspect réglementaire de l'opération "vitrification" en rappelant que les textes Japonais actuels ne faisaient pas référence cette étape indispensable et terminale du procédé de retraitement. La JAEA semblait également - comment dire - embarrassée de rester avec un stock de nitrate de Plutonium sur les bras, le site de Tokaï ayant été définitivement abandonné en 2007.Oshima, un non-scientifique, reproche à la JAEA de planquer des cadavres sous le tapis à Tokaï
Passés quelque moments de stupeur, la première réaction s'est rapidement formalisée par la voix du conseiller Oshima, le seul non-scientifique de la commission [10] qui s'est étonné de ce que la JAEA reconnaisse ainsi officiellement que des déchets hautement radioactifs aient pu être "oubliés" sur le site, tout en accusant à de nombreuses reprises l'opérateur d'être directement responsable de ce fait. Cette réaction semble à l'évidence une posture défensive, attendu que la décision de fermeture du site de Tokaï a été éminemment politique, au moins autant que celle coupant définitivement les ailes de "Superphenix" en France en 1998 [11].Le "renouveau" du nucléaire devra gérer le passif bien avant de songer au moindre "développement"
Plutôt que de tirer sur l'ambulance, MM. les politiques devraient plutôt réfléchir à l'impasse dans laquelle la JAEA se trouve puisque personne au niveau politique ne semblait avoir réfléchi au fait que les effluents liquides hautement radioactifs stockés dans des citernes sur le site de Tokaï-Mura pouvaient représenter le moindre danger de fuite radioactive. Ce n'est certainement pas la première fois que la JAEA attire l'attention des autorités sur ce problème et cette organisation a apparemment décidé d'utiliser cette fois le levier représenté par la présence de son ancien collègue M. Fuketa à la commission de sécurité nucléaire [12]. Gageons que le message de la JAEA a été, cette fois, parfaitement entendu.(1) M. Fuketa lors de son intervention finale, le 31 juillet 2013 (NRA)
Sources : High-Level Radioactive Liquid Waste, Plutonium Nitrate Stored in Tokai Reprocessing Plant, JAEA Volunteers Information to NRA (ex-skf, 31713) - La vidéo intégrale de la séance NRA du 31 juillet (Chaine NRA youtube, 31713)
Notes :
[1] NRA : [Japan] Nuclear Regulatory Agency, l'agence de régulation nucléaire Japonaise ayant remplacé l'incompétente NISA en avril 2012
[2] M. Fuketa serait lui-même un ancien dirigeant de la JAEA (wiki)
[3] JAEA : Japan Atomic Energy Agency, organisme semi-public chargé - entre autres - de la gestion des sites de retraitement de combustible Japonais et des installations atomiques dites "de recherche"
[4] Une diffusion intégrale et simultanée censée illustrer la nouvelle transparence nucléaire au Japon
[5] Zonage de confinement étendu à 10 km autour du site
[6] Principalement du Plutonium-239 formé lors du processus de fission mais également de l'Uranium-235 original non "fissionné"
[7] Il est généralement estimé que le retraitement Japonais coûte environ 2 fois plus cher que les - rares - installations équivalentes (ex-BNFL ou AREVA)
[8] L'acide nitrique présente la particularité de précipiter les noyaux lourds et donc d'autoriser leur "séparation" des autres éléments formant le combustible irradié ; il est probable que l'usine de Tokaï connaissait des problèmes techniques en aval de ce processus, une hypothèse qui pourrait expliquer le stockage involontaire de quantités importantes de nitrate de Plutonium sur le site ? (source : Hanford site history, Thomson Process)
[9] Les récentes fuites constatées sur les réservoirs d'effluents radioactifs de Hanford (USA) et le tragique accident de Mayak (1957) ne sont évidemment pas étrangères à cette interrogation sécuritaire !
[10] M. Oshima est un "bureaucrate" chargé de l’interfaçage entre la NRA et le gouvernement Japonais
[11] Essentiellement et une nouvelle fois pour des motifs financiers
[12] Le coup de théâtre de M. Fuketa semble par ailleurs avoir été parfaitement organisé : prise de parole tardive, question manifestement non a l'ordre du jour, distribution des documents JAEA à la dernière seconde...