Dans la foulée de notre dernier billet dans lequel nous estimions que la concentration en Strontium-90 dans le port de Fukushima-Daiichi devait théoriquement avoisiner quelques Becquerels par litre, nous avons été sidéré par le "handout" de Tepco publié hier (rédigé en Japonais) évoquant la contamination Bêta globale [1] de la lagune et plus spécifiquement celle liée au Sr-90 dont les résultats sont, semble-t-il, publiés pour la première fois depuis mars 2011. Nous en profitons pour remercier les nombreux correspondants et veilleurs qui suivent toujours de manière régulière et assidue les communications de Tepco.
Vingt-huit mois pour une "simple" mesure d'activité totale Bêta !
Sidération, c'est bien le mot qui vient à l'esprit : comment l'opérateur Japonais Tepco a-t-il pu accorder aussi peu d'importance à l'activité des radioéléments dès lors qu'ils ne sont pas les émetteurs Gamma traditionnellement recherchés ? Pourquoi ces analyses ont-elles été décidées aussi tardivement, sachant qu'à Tchernobyl les radionucléides émetteurs Bêta étaient les principaux responsables de l'impensable et innommable contamination des aquifères comme le lac Glyboké ou encore celle de la rivière Pripiat (400 kBq/l) qui ont valu à ces deux éléments aquatiques la qualification peu enviée de "déchets radioactifs" par les autorités Ukrainiennes [2] ?
Evidemment, Tepco était très occupé à regarder ailleurs et à poursuivre des actions - principalement cosmétiques - au niveau de zones modestement contaminées, comme l'unité n°. 4 ou l'ex-réacteur n°. 1 ; il s'agissait évidemment de détourner l'attention des médias et des observateurs des événements nettement plus importants sur lesquels les Japonais était bien incapables d'avoir le moindre levier d'action. L'analyse d'un tel échantillon [3] ne devait pas prendre plus de quelques heures de comptage [4], pourquoi diable a-t-il fallu attendre 28 mois pour obtenir les premiers résultats ?
Jusqu'à 600 Bq/l de Bêta et 280 Bq/l de Sr-90 ?
En page 5 du document Tepco, on retrouve un tableau permettant de confirmer la corrélation entre la radioactivité Bêta globale et celle due au Sr-90, des éléments analysés au niveau du mur qui a été construit dans la rade à quelques mètres du quai n°. 1 ; le niveau le plus élevé de Sr-90 relevé par Tepco est d'environ 280 Bq/l alors que l'activité maximale Bêta est quant à elle estimée à 630 Bq/l.
Points de repères radioactifs
Attendu que 280 Bq/l de Sr-90 ne signifie pas grand-chose, comparons cette donnée avec l'activité de la rivière Pripiat relevée en 1989 soit à un intervalle à peu près similaire de l'accident Ukrainien initial (1986) : moins de 1 Bq/l. [5] ll semble dès lors évident qu'à Fukushima, l'appoint en Sr-90 "frais" est renouvelé régulièrement alors qu'une partie des effluents radioactifs s'échappe du port (malgré les murs de protection mis en place) tandis qu'une autre partie - probablement très importante - se sédimente au fond de la lagune. La concentration "normale" en Sr-90 est quant à elle estimée à environ 10 mBq/l soit 0.01 Bq/l [6] soit encore une concentration environ 30.000 fois moins élevée que les données livrées hier par Tepco.
A l'origine de cette activité très élevée, le "lessivage" du Strontium par les mouvements aquifères ?
Le processus de migration du Strontium-90 libéré par la catastrophe Japonaise est très mal documenté et l'on ne peut guère compter sur le "liquidateur" Tepco pour s'y intéresser outre mesure ; l'on sait toutefois qu'à Tchernobyl le Sr-90 avait migré des tranchées artificielles, construites à la hâte pour recueillir le plus gros de la contamination, vers les aquifères distantes de plusieurs dizaines de mètres. Ce déplacement pourrait avoir été facilité à Fukushima par l'eau, omniprésente [7], ainsi que par la salinité présente dans l'eau de mer [8], cette dernière condition n'étant pas été validée lors de l'accident de Tchernobyl.
Il faut rappeler qu'à la différence de la réponse "liquide" privilégiée par les Japonais en réponse à l'emballement des réacteurs de Fukushima-Daiichi, le combustible en fusion échappé du réacteur n°.4 de Tchernobyl avait été confiné tant bien que mal grâce à une réponse "solide" : béton, sable, bore, plomb, argile, dolomite, soude, polymères [9]... A Fukushima, l'eau surnuméraire aurait-elle facilité la migration du Strontium-90 vers l'océan Pacifique ?
(2) Le mur censé restreindre la contamination côté océan (Tepco)
Source : Handout du 26613 (Tepco, document en Japonais)
Notes :
[1] Gross Beta, activité totale des radionucléides émetteurs Bêta
[2] Tchernobyl n’a pas terminé son ouvrage (Courrier International, 21411)
[3] Une spectrométrie par comptage Bêta comme un scintillateur sous phase liquide ou à l'aide d'un comptage proportionel
[4] On "compte" les désintégrations par unité de temps et unité d'énergie, ces dernières étant censées être des constantes propres à chaque radionucléide définies par l'expérimentation
[5] Tchernobyl : Évaluation des incidences radiologiques et sanitaires - Table n°. 3, p NEA, 2002
[6] Cs-137 and Sr-90in seawater in the Polish Economic Zone- (Helsinki Commission, 2011)
[7] Radiotoxicologie et radioécotoxicologie du Strontium-90 - (Wikipédia)
[8] Strontium-90 et environnement - (IRSN, 2005, p.10)
[9] Incidences radiologiques et sanitaires de Tchernobyl - (Le feu de graphite, NEA, 2002)